Du pauvre caillou mal poli à la Galerie des Glaces du Château de Versailles, petite histoire de la façon dont les miroirs nous ont de mieux en mieux reflétés.
DANS LE MIROIR, LE TABLEAU C'EST VOUS !
L’évolution du miroir à travers les millénaires
Du petit morceau d’obsidienne, roche volcanique naturelle polie à l’envi par nos ancêtres préhistoriques pour se mirer le bout du nez, aux immenses armoires à glace qui envahissent au XXᵉ siècle les chambres à coucher, l’histoire du miroir connut bien des péripéties. Son Âge d’or survint au moment clef où, devenu enfin fidèlement réfléchissant, on lui accorda le statut d’un authentique chef-d’œuvre. À l’instar des toiles des grands peintres, les miroirs eurent droit à leurs cadres en bois savamment dorés, travaillés de sorte qu’ils aient l’aspect de l’or massif.
La Renaissance, l'Âge d'or des miroirs
Les cadres de miroirs dorés à la feuille d’or connurent leur plein essor du XIVᵉ au XVIIIᵉ siècle et sont aujourd’hui des beautés très convoitées.
La galerie-vente Aux-Rois-Louis vous en propose plusieurs modèles émanant de cet Âge d’or, aux dimensions, ornementations et symboliques diverses. Et pour bien les apprécier, voici la façon dont ils s’inscrivent dans la grande histoire du miroir et de son évolution.
Au départ, savoir qui était la plus belle, c’était pas gagné !
Au tout départ pour se voir, il fallait trouver un plan d’eau sombre et stagnant, déformant votre reflet à la moindre brise de vent.
Que nous dit ensuite l’archéologie ?
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Un morceau d’obsidienne – verre volcanique naturel – fut poli pour servir de minuscule miroir 6000 ans avant J.C. en Anatolie, l’actuelle Turquie.
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De petits miroirs en cuivre poli ont été fabriqués en Mésopotamie 4000 ans avant J.C, en Chine 2000 ans avant J.C. , puis en Égypte 1200 ans avant J.C.
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Les Romains essayèrent ensuite plusieurs alliages métalliques à base d’étain, cuivre, argent, or et plomb. Problème, les miroirs qui en résultaient s’oxydaient rapidement. Il fallait sans cesse les repolir pour les faire briller.
Franchement, pas évident de poser son rimmel dans ces conditions. Pas étonnant que la belle Cléopâtre ait eu la main lourde sur le khol pour séduire Jules César.
Murano en Italie, berceau du miroir parfait
Dans la mouvance de la Renaissance qui débute au XIVᵉ siècle en Italie, les maîtres verriers vénitiens vont inventer une méthode – un siècle tenue secrète – pour prodiguer au reflet son absolue fidélité au modèle. C’est la composition de l’amalgame étain-mercure qui parvint à ce prodige dans les ateliers de verrerie de l’île de Murano, dans la lagune de Venise.
Lentement mais sûrement, ce savoir-faire commencera à se propager dans l’Europe toute entière.
En France, la célèbre Manufacture Royale de miroirs et de glaces produira de cette manière, en à peine 6 ans, de 1678 à 1684, la vertigineuse Galerie des Glaces du Château de Versailles sous le règne de Louis XIV, le Roi Soleil.
Le miroir incarne le luxe et réclame son écrin d'or
Fascinés par ces miroirs nouvelle génération qui reflètent si brillamment leurs sujets, les ateliers royaux de dorure vont leur accorder le même soin que celui apporté aux toiles des grands peintres. Les maîtres doreurs vont confectionner, pour les mettre en valeur, des cadres éblouissants reproduisant l’effet visuel de l’or massif. La finesse, la transparence, le poli et les nuances sont le fruit d’un temps et d’un soin infinis.
Pour les cadres en bois sculpté, l’encollage pour masquer la veine du bois et l’apprêt enduit et lissé sont constitués de mélanges de Blanc de Meudon et de colle de peau de lapin.
Pour d’autres cadres qui reposent sur une structure en bois, les ornements sont moulés dans le stuc, mélange de chaux aérienne avec du sable fin, de la poudre de marbre ou de la poudre de brique.
Le bol d'Arménie, seul digne de recevoir la feuille d'or si fragile
Et c’est là qu’intervient un geste tout-à-fait particulier : la pose délicate de deux couches très fines de « bol d’Arménie » aux endroits saillants destinés à être « brunis ». Après avoir été doucement pressée sous une pierre d’agate, c’est ce qu’on appelle le brunissage, la feuille d’or pourra exprimer tout son éclat.
Jean-Félix Watin dans « L’Art du Peintre, Doreur, Vernisseur » qu’il publie en 1772 le décrit ainsi :
« Le bol d’Arménie eſt une terre argilleuſe & onctueuſe, douce au toucher, fragile, de couleur rouge ou jaune, qu’on nous apporte en morceaux de différentes groſſeurs & figures. On en faiſoit venir autrefois du levant & d’Arménie ; on l’appelle encore bol oriental ou bol d’Arménie ; mais tout le bol que nous voyons & que nous mettons préſentement en uſage, eſt tiré de divers lieux de la France. Le plus beau & le plus eſtimé vient de Blois, de Saumur, de la Bourgogne : on en trouve dans pluſieurs carrieres autour de Paris, comme à Baville, à Meudon, qui, quand il eſt bien rouge, eſt assez recherché. On choiſit le bol net, non graveleux, doux au toucher, rouge, luiſant, s’attachant aux levres quand on l’en approche : il sert aussi à l’aſſiette. »
Jusqu’au XVIIIᵉ siècle, la dorure à la feuille d’or à l’eau, ou dorure à la détrempe, était reine. L’aboutissement de ce long processus confère aux cadres dorés de cette époque une délicatesse inégalée.
Au fil des siècles sous l'or la fine argile affleure
Au fil des siècles, la feuille d’or a pu çà et là s’émousser et c’est ainsi qu’on aperçoit par endroit le bol d’Arménie, bol oriental ou « assiette à dorer », selon ces différentes dénominations.
L’argile rouge affleure comme par transparence et accentue la profondeur des nuances.
Cette assiette de teinte rouge est la plus courante en France. L’assiette jaune est la plus utilisée en Italie. L’assiette noire est préférée en Angleterre, par exemple pour les dorures de Buckingham Palace.
Toutes ces nuances nourrissent des parti-pris artistiques variés. Ces différents bols d’Arménie leur donnent force et caractère. Il ne faut surtout pas essayer, lorsqu’ils réapparaissent, de les masquer.